Je vais bien, ne t’en fais pas.


« Attention je pique .»

L’infirmière me sourit et je détourne les yeux. A l’instant même où l’aiguille rentre dans ma peau, tout commence à me revenir. Mes bras bleus d’avoir donné trop de sang. Les quarante de fièvre. Mon corps qui semble être passé sous un tracteur. Les aiguilles sur tous mes membres. « Là où les veines veulent encore donner du sang », paroles d’expert . La douleur d’une piqûre dans le cou. Mes cris. La famille qui sert les poings. Les larmes de ma sœur. Les encouragements du petit prince.

Je suis habillée d’une blouse verte transparente. Mon corps est visible par tous. C’est étrange mais l’idée me dérange. Me voilà redevenue pudique. Pourtant ça ne devrait pas avoir d’importance. Il me semble que 10 000 mains se sont posées sur ma peau. Médecins, professeurs, infirmiers, aide-soignants, anesthésiste. Ils m’ont tous regardée avec des yeux professionnels. Comme un cobaye curieux car bien trop jeune. Et ils ont compati.

Je rentre dans l’étrange tube qui me gratifie de bruits stridents mais familiers. Mon corps est pris de spasmes idiots. Je ferme les yeux et respire un grand coup. Les sons s’emballent. Et les images reviennent. Une dizaine de tuyaux pour me maintenir vivante. Un dans le poumon, un dans le rein droit, un dans la bouche. Je ne peux pas marcher. Je ne peux pas comprendre ce qu’on me dit. Je ne peux pas voir ma famille plus d’un quart d’heure par jour. La morphine m’endort et me fait délirer.

« Gonfler les poumons..ne respirez plus..ne bougez pas le ventre » ordonne la voix robotique . Je me résonne et m’exécute. Mauvais cauchemars. Souvenirs indésirables. Loin de moi..mais encore vivaces.

Ça fait quatre ans que tout est fini.

Quatre ans que je suis la fille recyclée.

Quatre ans que j’ai cette cicatrice.

Quatre ans que je ne me réveille plus en criant la nuit.

Quatre ans que je n’ai plus mal.

Quatre ans que je n’ai plus à me battre.

Un quart d’heure est passé dans ce tube froid. Je me dirige vers une salle d’attente pour attendre le médecin. Mon cœur bat trop vite si bien que j’en ai le tournis.

Et si tout ça n’était pas fini..?

Si je devais tout recommencer?

trouverais-je la force sans mon petit prince?

Toutes les personnes de la salle ont les cheveux blancs et me regardent avec surprise. Je baisse les yeux. J’ai 22 ans et je suis déjà morte une fois.

Blouse blanche arrive et me sourit. Il me laisse quelques secondes de suspens et me lance finalement ma sentence. « Vous n’avez plus rien. Tout est fini » m’annonce-t-il en souriant.

Et là.. toutes les voix s’arrêtent. Les larmes coulent sur mes joues. Un flot de soulagement. Une fin.

A la sortie du centre d’examen, l’air ne semble plus être le même. Arrêt du combat. Me voilà libre. Et pourtant je n’arrive pas à sourire. Pour tout dire je suis triste. Je m’en sors mais seule.

Petit prince me manque. Je n’arrête pas d’y penser. La vie est belle mais totalement injuste. Il devrait être près de moi. Rire encore. Faire du théâtre. On devrait danser encore une fois et se prendre dans les bras . Je vois son image disparaître un peu plus avec la fin de mon calvaire. Et je ne sais pas comment faire. Par quelle méthode je peux encore l’emprisonner et le garder près de moi..

Ne t’en va pas, ne t’en va pas, ne t’en va pas..S’il te plaît. Je ne suis pas prête à te laisser partir.

Dans mes réflexions j’en ai presque oublié la vie réelle. Le monde où personne ne sait ou n’imagine ce que c’est que de vivre quelques semaines greffé à du métal froid.

« Et bien c’est quoi cette tête? Ah oui c’est vrai ton contrôle de routine.. Alors ça s’est mal passé? »

« Non…en fait je n’ai plus rien ».

« Bas alors.. fais pas la gueule! Oulala mon dieu tu es en bonne santé qu’est ce que ça doit être dur dis-donc! »

Je ne me donnerais pas la peine de répondre. Les hommes sont vraiment cons parfois (et ça s’explique par le fait qu’ils ne connaissent pas le poids que peut avoir une cicatrice. Moralité: c’est un comble pour une future journaliste..je ne sais pas communiquer).

15 réflexions au sujet de « Je vais bien, ne t’en fais pas. »

  1. Tu es là et pas lui… Courage ! Tu vas bien, ou au moins ton corps va bien, reste à le remplir complètement. Quand on meurt une fois, il faut réapprendre à habiter son corps et c'est peut-être l'étape la plus difficile. Mais je suis certaine que tu y arriveras.

  2. je ne veux pas imaginer ce que tu ressens, c'est insoutenable… mes pensées vont très sincèrement vers toi même si je sais qu'en réalité seul le temps t'aidera.

  3. Putain Rox'.
    Et dire que je comptais sur toi et ton article pr me remonter le moral ce soir.. C'est loupé.

    La vie, la mort, la renaissance, ca me travaille tellement tout ca.
    Je te fais plein de bisous ma belle.

  4. Merci les filles. Et désolée pour ce post qui est un peu trop tristounet. J'avais besoin d'en parler ici. Mais c'est vrai je suis en bonne santé et ça c'est quand même super cool. Et promis l'anonyme le prochain article va swinguer. En attendant pour te remonter le moral, je t'offre une blague à deux balles..:

    PAN PAN..

    voilà voilà…

  5. Réponse conne de cet homme mais il n'est peut-être pas au courant pour le Petit Prince. Ce texte est très touchant et je te remercie de nous avoir fait partager, une seconde fois, cette partie si intime de ta vie…

  6. Peut-être que le « con » ne connaît pas l'histoire de Petit Prince ? J'essaie de lui trouver une excuse… même si sa remarque reste un peu débile, qu'il connaisse l'histoire ou non…

    Malgré tout, je me réjouis pour toi ! Gros bisous…

  7. Salut,
    tu suis quoi comme filière au lycée pour etre entre journaliste et intermittente du spectacle.
    Je trouve que tu écris bien pour notre âge.
    Kiss

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