Mon petit prince

Voilà. C’est le moment. Je voudrais vous présenter Armand.

Armand c’est mon petit comédien. Il a 16 ans mais il joue déjà comme une grande personne. Il a toujours le sourire aux lèvres. Il fait mine que tout va bien quand ça brûle à l’intérieur.
Parce qu’Armand il sait qu’il est jeune et que c’est maintenant qu’il faut qu’il profite. Il a une bonne bande de copains avec lesquels il fait toujours n’importe quoi. Mais c’est drôle. Et ça fait des jolis souvenirs.

Alors voyez-vous. Quand on lui dit qu’il est atteint d’une maladie grave il fait comme si ce n’était pas grand chose pour ne pas casser l’ambiance. Il dit à tous qu’il n’a pas peur. Que c’est une mauvaise passe.

A moi, le soir, il ose cracher la vérité. Que ça le bouleverse bien sûr. Parce qu’il sait que je le comprends. Je suis un peu plus vieille d’accord. Mais surtout on est dans la même galère. Bizarre d’ailleurs que ça nous soit tombé dessus en même temps. Ce qui nous pourrit ne porte pas le même nom mais finalement c’est le même combat.

Père destin a décidé de jouer avec nous. De faire mal à nos familles. De nous forcer à grandir trop vite. Et peut être de dire adieu avant l’heure.

On a décidé de ne pas se le laisser faire. Alors tous les deux on lance l’offensive. On veut faire comme les autres. Peu importe ce qui nous travaille. On est normals.

On se raconte aussi des choses plus légères. Nos histoires d’amour pathétiques d’adolescents. Les looses de la journée. Et puis on parle du futur aussi. Moi je serai journaliste ou comédienne. Lui aussi la scène ça lui plaît bien.

Quand on a des examens médicaux, on s’écrit. On fait des blagues. Parfois un de nous deux baisse les bras alors l’autre lui donne sa force. Il faut qu’on gagne. L’enjeux est trop important.

Phase finale pour tous les deux. Dernier combat. On doit se quitter mais c’est pour mieux se battre. L’autre sera toujours là. On le sait. C’est notre meilleure arme.

On se prend dans les bras. Très fort. Et on attaque. Chacun de notre coté. On se l’ait promis on se va retrouver au bout. Chez nous c’est à la vie, à la mort. Ou plutôt à la vie à la vie.

Je sors de l’hôpital un mois et demi après. Il est là. J’ai le droit à un câlin rempli d’émotion. C’est presque comme un rêve. Et puis on chiale aussi. Pour la première fois. Tant pis si on a l’air cons dans la rue. C’est la fin de notre guerre. Tout le monde a survécu.

Alors on se raconte les horreurs. Ça fait du bien que l’autre comprenne. Je lui parle des tuyaux sur mon corps, des mains des infirmiers, de la douleur. Il acquiesce. Je caresse sa tête chauve et je me rends compte que ça pique. C’est chouette ça repousse.

On se voit pas trop longtemps néanmoins parce que tous les deux on fatigue vite. Les blouses blanches nous ont dit à chacun que c’était normal. Qu’il fallait récupérer.

J’ai récupéré. J’ai repris le théâtre avec lui. C’était magique. Maintenant que j’avais vécu ça, je pouvais tout jouer. Et lui aussi. On s’attendait toujours devant la salle. Question de principe.

Un jour il n’est pas venu. Je me suis dit qu’il avait la « flemmingite adolescente ». Mais le soir je me connecte et directement il vient me parler. « J’ai rechuté ».

BLAM. Mon cerveau a du mal à fonctionner. Je ne trouve plus les mots. J’ai du mal à taper sur mon clavier. Je pleurs comme une abrutie mais ça ne change rien. Et j’essaye de le rassurer comme je peux. Bien sûr qu’il va s’en sortir. On a déjà vaincu la mort une fois. Si cette garce veut prendre sa revanche alors elle devra me passer dessus.

Il dit qu’il a pas la force de se battre alors je lui donne la mienne. Il le fera. Parce qu’il sait que ça en vaut la peine. Il sait que je serai toujours là. Parce que je l’aime.

Je ne le vois plus beaucoup. Il prend quelques visites à l’hôpital mais nous devons le laisser se reposer. Lors de nos rendez vous je dois mettre une charlotte, des gants, des chaussons, un masque et une combinaison. Tout un attirail pour lui dire des choses simples. Le prendre dans mes bras. L’écouter. A chaque fois que je resors je crie. Bêtement comme ça dans la rue. Je fais peur aux passants et j’en ai rien à foutre.

Puis il y a du mieux. Il est présent à un spectacle de théâtre. Dans le public à coté de sa chérie. Il est galant et ça me fait sourire. Dès qu’on est seul pourtant son regard change. D’un air triste il me montre sa cicatrice au cou qui fait 8 cm.  « Tout le monde le regarde bizarrement. Je suis un monstre ». Qu’est ce qu’elle me paraît belle à moi cette créature!

Je soulève mon tee-shirt pour lui montrer ma cicatrice bien plus grosse et bien plus honteuse avec fierté. C’est con j’avais pas pensé à le faire avant. Cette vieille ligne rouge sur ma peau qui me prend tout le ventre. Je suis au moins aussi laide que lui. Aussi imparfaite. Je souris « c’est à la fille recyclée que tu dis ça? ». Il fonce dans mes bras. Il rigole, pleurt en même temps et me sert encore plus fort que jamais.

Et il guérit à nouveau

Un an passe. Il va mieux et a repris les cours. On se parle moins mais bien sûr on garde contact. Il a retrouvé une vie normale. Une vie de lycéen. Moi je suis à la fac maintenant et je ne peux plus faire du théâtre dans la même école à cause de mes horaires. Il fait toujours le fou avec ses potes. Je regarde les vidéos sur son blog. Ça m’amuse. J’aime le voir aussi vivant et heureux. Je poste deux/trois commentaires de temps à autre. Il sait que je suis là, et que je suis fier de lui.

Puis j’ai plus de nouvelles pendant deux mois. Je suis descendue à Paris dans un appartement sous-loué pour faire des centres aérés et trouver mon propre logement. Je reçois ma meilleure amie pour fêter tout ça. Elle monte les escaliers. Elle est en pleurs. « Armand est décédé». Il avait rechuté, encore. Et cette fois il savait qu’il n’avait plus de chance de s’en sortir. Alors il a préféré ne rien me dire. On pouvait pas se battre cette fois. Il voulait pas que je mette toute ma force dedans. Il ne voulait pas me dire Adieu.

Je n’ai pas su comment réagir. Mon copain de l’époque ne savait pas quel mot prononcé. Alors avec ma meilleure amie on est sortis. On ne savait pas où aller. Stupidement on s’est posé dans un restaurant. On a pleuré toute la soirée sans un mot devant les gens curieux en train de manger et de faire la fête…

Pourquoi je parle de ça? Parce qu’il était temps de le faire. Parce que ce jeune homme a changé ma vie. Il m’a permis de me battre contre le destin bien plus que ne l’aurait fait n’importe qui. Il m’a fait croire en mes rêves et c’est grâce à lui que je les touche du doigt aujourd’hui. C’est à lui que je pense dès que les choses me semblent trop difficiles, insurmontables. J’entends encore ses encouragements. Il ne me quittera jamais. Et j’avais envie de le remercier d’une façon ou une autre. Maintenant c’est fait.

Il ne faut pas croire que je vais mal. Au contraire. Si j’ai pleuré en écrivant certaines phrases, c’était de belles larmes. Que je sois morose ou joyeuse, je suis vraiment heureuse de tout ce que je vie. Heureuse aussi pour mes bloggeuses de vous lire. Si je devais m’effacer demain, je ne regretterais rien. Et c’est grâce à lui. C’était sa leçon. Ce soir je vous la donne.

Armand ce sera sûrement le nom de mon fils.

9 réflexions au sujet de « Mon petit prince »

  1. Extrêmement touchant. L'histoire, ce jeune homme, cette partie si intime de ta vie, ce prénom que tu donneras… C'est l'un de tes plus beaux articles et je pense qu'il faut perdre quelqu'un qui nous est cher ou que l'on traverse nous-même une sale période pour voir la vie différemment.

  2. ah ben dis donc, moi qui venait d'arrêter de pleurer après avoir regardé le film « ma vie pour la tienne », me voilà repartie! c'est malin tiens! j'aurai de beaux yeux pour le réveillon de demain!
    très joli billet en tout cas, merci.

  3. Je ne commente pas souvent ici (jamais ?) mais tu m'a fait pleurer un jour de Noël…pas tant de tristesse mas d'émotion. Il est beau cet article, ton amour pour lui est palpable. Je te souhaite un bon réveillon, continue à être heureuse ainsi, mille pensées.

  4. Je ne le connais pas, mais je remercie Armand d'avoir existé. C'était un ange de passage sur terre n'est ce pas?
    Votre histoire est très belle. Et même si la fin reste triste, un jour vous vous retrouverez.
    Je ne suis pas croyante, mais un jour, vous vous retrouverez.

    <3

    Par la même occasion, tu viens de remettre l'ordre des priorités dans la vie, et je t'en remercie du fond du coeur.

  5. Désolée je fais une réponse groupée pour cet article là parce qu'il me touche beaucoup. Merci à tous pour ces jolis commentaires. Je suis contente d'avoir partagé avec vous cette part de moi. Et puis de m'être rappelée cette leçon là (vue que j'arrêtais pas de râler en ce moment). Merci aussi (encore une fois) de suivre mes écrits. A très vite.

  6. Oh ma Charlie… Je viens de tomber sur cet article. Je ne l'avais pas encore vu.
    J'ai rêvé de lui il y a une semaine… C'est ces vieilles photos que tu as ressorties. Je rêvais que je ne refaisais pas les mêmes erreurs. J'étais là. J'essayais au moins. Je n'étais plus Ismène disant à Antigone « moi, tu sais, je ne suis pas très courageuse ».
    C'est très beau ce que tu écris. C'est tout toi. C'est toute ta force. Ce grand coeur à l'écoute du moindre soupir… et qui me rappelle cet aviateur en panne dans le désert qui avait croisé le petit prince, et écoutait ses rêves et ses questions…
    « -Toi, tu auras des étoiles comme personne n'en a…
    -Que veux-tu dire?
    -Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire! Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir… Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : « Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire ! » Et ils te croiront fou. Je t'aurai joué un bien vilain tour… Ce sera comme si je t'avais donné, au lieu d'étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire… »
    Et il rit encore. Puis il redevint sérieux :
    -Cette nuit…tu sais… ne viens pas.
    -Je ne te quitterai pas.
    -J'aurai l'air d'avoir mal… j'aurai un peu l'air de mourir. C'est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n'est pas la peine…
    -Je ne te quitterai pas.
    Mais il était soucieux.
    -Je te dis ça… c'est à cause aussi du serpent. Il ne faut pas qu'il te morde… Les serpents, c'est méchant. Ca peut mordre pour le plaisir…
    -Je ne te quitterai pas.
    Mais quelque chose le rassura :
    -C'est vrai qu'ils n'ont plus de venin pour la seconde morsure…
    Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre il marchait décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement :
    -Ah, tu es là…
    Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :
    -Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai…
    Moi je me taisais.
    -Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.
    Moi je me taisais.
    -Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces…
    Moi je me taisais. »

    Ma jolie Charlie, je te laisse avec cette belle chanson sur laquelle je suis tombée quelques jours après mon étrange rêve. Jojo, ça me rappelle le nom d'un de ses personnages… 🙂
    http://www.youtube.com/watch?v=tDi5TyWG-9o

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